
Tiery B. est né en 1973 dans l'est de la France. Après des études de philosophie, il écrit (Le Frère préféré - Editions Héloïse d’Ormesson) puis voyage, ce qui l'amène à la photographie, en simple visiteur d'abord. Entre 2000 et 2007 le travail photographique se substitue à l'écriture. Et la prolonge.
Journal intime aux traits trompeurs - c’est parfois sous le plus personnel que l’on découvre le plus impersonnel, l’essentiel étant de parler de soi pour parler des autres ? de l'autre ? à l'autre -, avec ses séquences, son découpage quasi cinématographique, sorte de cinéma immobile animant des images qui ne sauraient en elles-même être vivantes. Fragments de vie sans événements, c'est un peu dans les images comme dans le roman : beaucoup d'indices de voyage - les bonnes photos se faisant aussi bien ici que là-bas - des errances méditatives, des rencontres ; des amours importantes, qui ne sont jamais qu'une vaine tentative d'oubli ou d'invocation d'un frère d'élection.
Il y a une proximité affective avec les sujets photographiés. Le sourire des amants n'est pas obligé. Et si certaines images sont résolument pornographiques, elles restent avant tout fidèles à la présence d'une émotion, d'un plaisir renouvelé où répétition n'est pas synonyme d'ennui. Bien que les visages soient parfois absents ou en retrait - que le reste soit sans équivoque -, le phallus, érigé ou non, n'empêche pas le dévoilement et l'oblique, l'ombre, le noir et blanc. Cela procède ainsi pour l'ensemble du quotidien. Ni espoir ni nostalgie. Intensités du désir plus que visées. Un climat plus qu'une histoire. Voyage vers l'oubli.
D'où "l'érotisme", car comme la jouissance dite esthétique il n'est peut-être la satisfaction d'aucun intérêt, la suppression d'aucun manque. C'est tout un art… qui ne débouche que sur sa propre répétition. De là le travail du photographe - de tout artiste - ne pas représenter : produire. Sans exagérer. La tentation est grande s’agissant de sexualité... Le photographe a préféré l’intimité paisible à l’extase, un peu de vie nue.
Pas de réelle volonté de transgression donc, pas d'image-choc que viendrait atténuer un certain maniérisme formel. Cela donne des visions sereines, pas toujours exactes, au flou "dur" (non superficiel), images non manipulées dans lesquelles entre le minimum de technique (tant lors de la prise, qu'après), images pensives et silencieuses - calmes -, ni trop, ni presque rien, sans effets de modernité, et qui, en dépit de, ou grâce à une apparente efficacité figurative ou académique, ne renoncent pas à se doter d'une présence à travers laquelle, semble-t-il, quelque chose - à nouveau ? - nous regarde. "La pornographie y est plus tranquille qu'un érotisme subjuguant, et le monde en général s'y trouve érotisé". À moins que le monde en question n'ait rien de général et tout de sexuel d'emblée. Ce qui décidément rendrait bien fragile la frontière entre érotisme et pornographie.
De même que celle entre abstraction et figuratif.
L'intimité non programmée, foyer de résistance échappant à la distraction, refuse de choisir entre les deux, tout comme entre vivre et représenter. À force de sérieux et de cruauté, le vif et l’exprimé (le produit ?) ne font qu’un, ou multiplicité de multiplicités.
Le risque de cette entreprise aurait été d'aboutir à des productions trop physiques, trop narcissiques, solitaires - voire misanthropiques -, avec quoi le photographe, doté d'une arme symbolique, posséderait les êtres comme "pour faire une provision d'eux, en prévision de leur absence" - sorte d'amants assassinés.
Un temps, l'auteur en a voulu différemment, veillant à ce qu'à chaque prise ce soit l'autre qui le touche, plus que sa photo.
Et 2014 :
... une seule image, celle d'un frère d'élection, dont le rôle symbolique s'est constamment amplifié...
Jusqu'à devenir autre chose qu'une image, qu'un frère, tout justement.
Absence de narration, de rapport de l'image à son objet (souvenirs) - des images entre elles sinon en rêve - qui formaient un journal. Le photographe s'en tient dorénavant à la seule figure, qu'il isole, transmet en évitant le détour d'une histoire à raconter, fût-elle modeste. Formes sensibles rapportées à la sensation. Et le passage de l'une à l'autre, leur étreinte, la résonance qu'elle en tire : le rythme. L'impression de temps immobile et vibrant, de ralenti, pour mieux faire apparaître, faute d'arrêter et de fixer. De calme toujours. Le contraire du sensationnel, de la figuration primaire, du spectacle.
L'artiste a repris le principe du triptyque, pour l'étendre à une série d'une vingtaine d'oeuvres. Soit un maximum d'unité de lumière et de couleur (noir et blanc) pour le maximum de division des figures. Ici, des masques. Et leur étrange pouvoir de fascination, qui efface la mémoire, supprime l'identité - le narcissisme - et laisse passer l'ignoré.
Dans cette série, l'anxieuse fixité d'un visage faunesque à la main découvrant dans sa paume un oeil quasi vivant, fantastique, imposant son empire effrayant et renvoyant le poète à son propre labyrinthe.